index - Revue de linguistique latine du Centre Ernout n°11, mai 2015 Accéder directement au contenu

LE DISCOURS RAPPORTE EN LATIN 2/2

Numéro dirigé conjointement par F. Fleck et L. Sznajder

Table des matières

FLECK Frédérique et SZNAJDER Lyliane : « Introduction »

III Du discours citant au discours cité : Frontières et segments introducteurs de discours rapportés

GAVOILLE Laurent : « Contendere : polysémie et construction multiple »
SZNAJDER Lyliane : « Segments introducteurs de discours direct et repérages énonciatifs en latin biblique : éléments pour une étude diastratique et diachronique »
GAYNO Maryse : « Les modalités d’insertion du discours direct en latin tardif : bornage et redondance »

IV Formes interprétatives du discours rapporté

ORLANDINI Anna et POCCETTI Paolo : « Laisser entendre la voix d’autrui : les formes de la dissociation énonciative dans le style indirect latin »
GARCIA-HERNANDEZ Benjamín : « La transformación y creación de enunciados proverbiales en textos plautinos y cartesianos »
VAN LAER Sophie : « Vt comparatif en latin : un marqueur de dialogisme ? »
DALBERA Joseph : « L’infinitif et la mise à distance du discours rapporté en latin »
LECAUDE Peggy : « Le grec rapporté : citation et reformulation d’énoncés grecs dans les Nuits attiques d’Aulu-Gelle »
FLECK Frédérique : « La possibilité d’un îlot. La répétition comme indice de littéralité »

 

INTRODUCTION


Frédérique Fleck et Lyliane Sznajder
frederique.fleck@ens.fr
sznajder@worldonline.fr


Avec le numéro 11 de De Lingua Latina paraît le deuxième volume des Actes du Colloque Alfred Ernout « Le discours rapporté en latin » (2-4 Juin 2014). Cette deuxième livraison réunit les axes 3 et 4 du colloque, centrés respectivement sur les rapports et délimitations entre discours citant et discours cité (axe 3) et sur les formes interprétatives de discours rapporté (axe 4).
Les articles de la première partie de ce volume sont donc consacrés aux segments introducteurs de discours explicitement rapportés, et aux rapports qu’ils entretiennent avec le discours cité à travers leurs marques lexicales, morpho-syntaxiques, énonciatives. Une caractéristique commune aux discours directs et indirects étudiés dans cette première partie est en effet que la présence du discours cité y est explicitement signalée, par des marqueurs différents dans l’un et l’autre cas (traitement spécifique des embrayeurs, intégration syntaxique identifiable du discours cité), et – le plus souvent – par un segment introducteur comprenant la précision, par un verbe de parole, qu’il s’agit bien d’un acte d’énonciation. Ce sont ces verbes introducteurs qui retiendront surtout ici l’attention, leurs sélections lexicales et leurs fonctions morpho-syntaxiques, énonciatives, démarcatives, n’étant pas identiques dans le discours direct et le discours indirect.
L’enquête de Laurent Gavoille, qui a pour cadre théorique l’analyse sémique, porte sur les caractéristiques sémantiques et syntaxiques d’un verbe introducteur de discours indirect devenu secondairement verbe de parole : contendere. L. Gavoille montre d’un côté comment contendo est devenu verbe de parole, et de l’autre comment les sens assertif (« affirmer ») ou volitif (« demander ») ne sont pas déterminés par le type de complétive associée (A.c.I. vs. complétive par ut), mais inscrits dans les virtualités sémantiques du verbe même.
Les deux articles suivants ont pour objet les segments introducteurs de discours direct, à travers une confrontation entre usages classiques, usages bibliques (L. Sznajder) et usages tardifs (M. Gayno). L’absence de marques typographiques spécifiques délimitant le discours rapporté dans les textes anciens justifie cette attention portée aux procédés formels d’annonce du discours direct.
Dans une étude contrastive menée sur les deux traductions latines successives de la Bible, Vieilles Latines et traduction de Jérôme, Lyliane Sznajder analyse les différences entre segments introducteurs à la lumière de facteurs diastratiques, et, par le recours aux langues sources, retrace l’origine d’une forme de surmarquage démarcatif du Dire introducteur de source spécifiquement biblique promise à une très large diffusion en aval : le participe dicens directement contigu au discours cité.
Maryse Gayno, à partir d’un corpus de textes situés entre la fin du Ve s. et le début du VIIe s., étudie quelques formes de bornage du discours direct en latin tardif, bornage droit marqué par la fréquente présence d’expressions anaphoriques après le discours cité, bornage gauche souvent souligné par un redoublement du Dire, soit sous la forme du participe dicens étudié dans l’article précédent, soit sous la forme d’une incise secondaire inquid. M. Gayno met alors ces phénomènes de duplication en relation avec d’autres redondances fréquentes en latin tardif.
Si la première partie de ce volume a montré que les frontières du discours direct ne sont pas toujours nettes dans les textes latins du fait de l’absence de marques typographiques (guillemets ouvrants et fermants), les formes les plus canoniques du discours rapporté que sont le discours direct et le discours indirect ne présentent du moins pas de problème d’identification globale. On peut se demander où commence et où finit exactement le discours rapporté et parfois même quel locuteur en est la source, mais on sait bien, grâce à la présence d’un verbe introducteur, que discours rapporté il y a.
Le repérage d’autres formes de discours rapporté exige, en revanche, un travail interprétatif et reste donc toujours, dans une certaine mesure, sujet à caution. Ainsi en va-t-il du discours indirect libre, du discours direct libre, des citations cachées, des diverses formes de modalisation autonymique (termes employés à la fois en usage et en mention) telles que l’îlot textuel qui apparaît au sein d’un discours indirect ou d’une modalisation en discours second sur le contenu ou encore des phénomènes polyphoniques de dissociation énonciative. C’est à ces formes interprétatives du discours rapporté qu’est consacrée cette deuxième partie qui clôt les actes du colloque. Les articles qui s’y trouvent mettent en lumière la présence en latin d’un certain nombre de ces formes, proposent de reconnaître leur expression à travers des moyens linguistiques qui n’avaient pas encore été identifiés et répertorient des indices qui permettent de les repérer.
Anna Orlandini et Paolo Poccetti passent en revue une grande variété de formes marquées et non marquées de dissociation énonciative. La négation polémique, les variations modales en proposition subordonnée, l’emploi de certains verbes, adverbes ou connecteurs, l’interrogation rhétorique et l’ironie sont autant de moyens de manifester une distanciation de l’énonciateur primaire par rapport au point de vue d’un énonciateur secondaire.
L’article de Benjamín García-Hernández attire l’attention sur le type particulier de discours rapporté que constituent les proverbes en tant que formes de « discours répété ». Il distingue deux processus, la phase « descendante » qui consiste en l’adaptation d’énoncés proverbiaux à des cas particuliers, parfois avec une insertion seulement partielle du proverbe (conservation de la structure syntaxique, mais modification de plusieurs termes), et la phase « ascendante » qui aboutit à la création d’un proverbe à partir de la répétition d’un énoncé particulier.
Sophie Van Laer s’intéresse à l’ambivalence de certains emplois de ut comparatif dans le cadre d’une apposition « circonstancielle ». Ces segments d’énoncés peuvent en effet faire l’objet de deux interprétations différentes : ils relèvent soit de la fonction « qualité », soit de la fonction « manière ». Cela peut donner lieu à une superposition des deux interprétations, l’une étant le fait de l’énonciateur primaire, l’autre d’un énonciateur secondaire par rapport auquel l’énonciateur primaire se distancie.
C’est sur l’ambiguïté de certains emplois de l’infinitif que se penche Joseph Dalbera. Il montre ainsi que, dans certaines de ses occurrences, l’infinitif de narration peut servir à l’expression du discours indirect libre. Cela ouvre de nouvelles perspectives quant à l’identification dans les textes latins de cette forme de discours rapporté traditionnellement associée à des passages à l’imparfait de l’indicatif. De même, dans les subordonnées infinitives du discours indirect, il n’y a pas toujours prise en charge par le locuteur primaire des propos rapportés. Plusieurs indices mettent en lumière cette possibilité de distanciation du locuteur primaire.
Peggy Lecaudé étudie les manières dont Aulu-Gelle rapporte des discours tenus en grec. Ceux-ci peuvent être cités dans leur langue originale, accompagnés ou non d’une traduction latine. L’hétérogénéité linguistique peut, au rebours, être occultée, le propos rapporté n’apparaissant que sous forme d’une traduction latine. Mais il arrive aussi que la traduction latine d’un discours tenu en grec soit émaillée de termes en langue grecque. L’hétérogénéité linguistique fonctionne alors comme indice d’une modalisation autonymique et permet de repérer îlots textuels et autres mentions.
Dans le cadre d’une enquête sur les indices d’hétérogénéité énonciative, Frédérique Fleck s’interroge sur la reprise par le locuteur primaire d’un terme apparaissant dans une séquence de discours indirect. Cette répétition, lorsqu’elle se fait au sein d’un mouvement de réaction aux propos tenus par le locuteur secondaire, est un indice du caractère littéral du terme répété. Il convient alors d’identifier ce terme comme un îlot textuel ayant échappé à l’opération de reformulation au sein du discours indirect. La présence d’autres indices peut venir étayer cette interprétation.